Histoire de la Géline.
Le mot « géline » vient de « gallina », qui signifie « poule » en latin.
Le département d’Indre et Loire est né en 1790,et ses limites correspondaient presque totalement à l’ancienne province Touraine issue de la nation gauloise « Turones ». Si des terres proches du Poitou et de l’Anjou ont été rattachées au département, d’autres au sud et à l’est lui ont été retirées au profit du Loir et cher et de l’Indre. De nos jours, les termes de Touraine et de Tourangeau s’appliquent au seul département d’Indre et Loire.
Cette contrée était riche en cultures et en élevages. Les productions céréalières, la vigne constituaient ses principales ressources. Les élevages de chevaux, de vaches, de chèvres et de porcs venaient compléter ces richesses végétales.
Mais qu’en était-il de l’aviculture ?
Depuis le Moyen-Age, les élevages de poules se limitaient essentiellement à une production secondaire, afin de satisfaire les besoins seigneuriaux (impôts dus en certaines quantités de poules, oies, canards …) et l’alimentation de la famille.
Ganilla, c’est l’origine latine du mot géline.
Gélinier > ou Gélinière désignait le poulaillier.
Gélinase ou Gélinage dénommait un impôt féodal: À titre d’exemple, en 1461, 1 géline représentait 8 deniers de rente.
Le terme Géline n’apparait plus dans les dictionnaires, mais il est aujourd’hui enregistré et reconnu pour désigner cette race de poule propre à la Touraine
Elevées en basse-cour, les pures races de poules se comptaient sur les doigts d’une main. Au XIXème siècle, on ne ce souciait pas ou peu des croisements entre les quatre races reconnues en France : la Crèvecoeur originaire de Normandie, la Flèche race noire de Sarthe, la Bresse et la Houdan.
Ainsi sont apparues des espèces locales ou régionales au gré des métissages et nul ne prenait soin d’en sélectionner les plus beaux spécimens.
Parmi ces races locales, le dindon noir et la poule noire de Touraine ne laissent pas le département en marge de productivité: chaque année, 25 000 dindons et près de 1 million de coqs, poules et poulets alimentent les marchés, jusqu’aux Halles de Paris. L’oie et le canard sont aussi très appréciés des commerces parisiens.
Bien que difficilement attribuable à l’une ou l’autre des espèces tourangelles de l’époque, le terme de race < Géline de Touraine > fait alors sont apparition. Mêlant la couleur noire à reflets verts du plumage, des oreillons rouges sablés de blanc, une queue touffue de longueur moyenne, les coqs et les poules de Touraine sont aussi qualifiés de « Noire de Touraine » ou de « poules de pays ».
Au cours du XIXème siècle, le commerce avec les régions d’outre-mer ont apporté des races de poules aussi variées que clinquante en beauté: la Brahma ( Asie ), l’Orpington( créée en Angleterre ), la Langshan ( Chine ) et autres. Ces variétés de volaille, plus belles, plus généreuses en taille ont alors été croisées avec nos espèces françaises. Ainsi, la Noire commune tirerait son éclat de la Langshan de Chine. Aux environs de 1870, la Noire de Touraine s’étend sur le département, et essentiellement dans le Lochois et le Sud Touraine.
Ainsi, les marchés de Loches, Montbazon, Sainte Maure bâtissent leur réputation sur la vente de ces volailles. Le seul marché de Loches écoule annuellement plus de 60 000 poulets.
Deux décennies pour s’affirmer
Las des croisements intempestifs avec les races étrangères, des voix s’élèvent pour revenir à des espèces plus nationales; Mais le mal est fait: certaines espèces pourtant reconnues perdent leurs caractéristiques. Dans les concours agricoles, la beauté des plumages remportent tous les suffrages… mais ne font pas l’unanimité des gastronomes.
Dans la région, Jean-Baptiste MARTIN, professeur départemental d’agriculture se dresse en défenseur acharné de cette Noire de Touraine qui n’a pas encore de nom.
Condamnant les races étrangères, il préconise sa présence aux concours, conseille les agriculteurs pour son élevage, s’insurge des perpétuels croisements pour les marchés parisiens.
Dès 1909, Jean-Baptiste MARTIN tente de faire sortir de l’oubli la Noire de Touraine en créant une structure de défense de cette poule de pays; il publie ses articles sur le bulletin agricole de Touraine, et ne manque pas de signaler que l’on sait nommer cette poule de plusieurs façons, mais qu’elle n’a pas UN NOM.
Désireux de regrouper les fermiers, fermières, éleveurs, amateurs, il fonde le Club Avicole de Touraine le 12 août 1912 et choisit en même temps le nom de la poule; La Géline de Touraine. il ne reste plus qu’à la baptiser officiellement en la faisant reconnaître. Pour cela, J.B. MARTIN établit et écrit le standard de la Géline, qu’il fait approuver lors de l’assemblée générale de son Club, le 23 octobre 1909 à Bourgueil:
La Géline de Touraine est née !
Le Club Avicole de Touraine, association professionnelle, devient le défenseur et le garant du standard de la Géline de Touraine. Son but est donc de sélectionner, d’améliorer, de définir et de maintenir le standard de cette race. Peu à peu, les productions avicoles du département sont surveillées, guidées pour préserver les principales espèces propres à la région: Géline ,Oie, lapin gris, pigeon et din-don noir. Avec l’aide de cultivatrices appelées « Dames patronneuses », la géline de Touraine connaît un grand essor dans les basses-cours de la région, et parfois même au-delà en France.
Quelques 6 mois après sa création, le Club compte déjà une centaine d’adhérents et le soutien des élus régionaux. Les journaux locaux, spécialisés en agriculture ou pas, se font les porte-paroles de l’association. En 1910, il est grand temps de montrer la Géline: le 7 janvier, à tours, 280 sujets sont exposés dans un local aménagé pour la circonstance. Il n’y a rien d’officiel à cette manifesta- tion, mais déjà les participants reconnaissent les qualités de la race et vont tenter d’en améliorer certains points: rendre les yeux plus vifs, éliminer les plumes sur les pattes, réduire le camail, …etc… Ces détails sont souvent la résurgence des différents croisements avec la Langsham ou l’Orpington. Un bon nombre d’éleveurs voient leurs animaux éliminés de ce « concours ». Ils sont conscients que les poules qu’ils présentaient ressemblaient peu à la Noire de Touraine connue auparavant. La sélection des volailles pouvaient alors reprendre sur des critères plus établis.
En octobre 1910, une exposition plus importante marque le commencement de la reconnaissance de la race « Géline de Touraine ». En 1914, la dénommée anciennement « poule de pays » se voit attribuer une inscription au concours générale agricole de Paris dans la catégorie « animaux gras ».
Il faut souligner, qu’entre-temps, le 12 novembre 2013, le bureau central des sociétés d’aviculture de France a homologué le standard de la Géline de Touraine.
L’ENTRE-DEUX GUERRES POUR SON APOGEE
La 1ère guerre mondiale qui éclate en 1914 interrompt les présentations et les concours ce n’est qu’en 1921 que la Géline réapparaîtra lors d’une exposition tourangelle. La travail accompli avant-guerre a été presque anéanti par manque de concertation pour la sélection et par défaut de nourriture convenable. Désireux de redonner son blason à la Géline, J.B. MARTIN relance le Club Avicole et ordonne la sauvegarde des plus beaux spécimens. Les fermes sont visitées, les aviculteurs sensibilisés et mis à contribution: ils doivent éliminer les sujets trop lointains du standard, baguer les plus beaux coqs et les plus belles poules, ne conserver que la quantité d’oeufs né-cessaire au repeuplement de leur basse-cour, et reverser le surplus aux membres du Club.
Pour ces actions, l’agriculteur perçoit une subvention proportionnelle aux volailles sélection-nées.
Et ce travail va amener, dans les années suivantes, la race à son apogée: primée fré-quemment dans toutes les expositions de Tours à Lille, de Melun à Poitiers en passant par Paris, la Géline de Touraine excelle autant en qualité esthétique que gastronomique. Entre 1926 et 1930, elle est même classée 2ème pondeuse parmi toutes les races françaises, avec une ponte de 213 oeufs par an.
Elle est reconnue par tous comme une race à part entière; au travers de la « Grande Semaine » à Tours ( une des plus grandes expositions agricoles françaises ), le Club Avicole de Touraine tente d’imposer sa notoriété avec la présentation de 219 sujets. Mais J.B. MARTIN en veut plus encore pour faire connaître « sa » poule: en faisant grossir le concours de volailles grasses de Loches, haut lieu de production, les marchés de la région prennent de l’ampleur dans la vente de produits avicoles.
Le marché de Loches, qui écoulait 24 000 poulets en 1918, en totalise 50 000 en 1924.
Reconnue dans les concours, appréciée pour la finesse de sa viande, la Géline de Touraine prospère de plus en plus en élevage de race qui deviennent rentables. Le nombre d’aviculteurs augmente, l’aire de production s’étend à tout le département. Ces éleveurs qui ont su, en 10 ans, donner au consommateur une volaille de qualité sont maintenant récompensés; Le commerce des oeufs et des poussins est florissant, ce qui favorise la reconnaissance et l’extension de la race. Toutefois, des recommandations sont données par le Club Avicole de Touraine: au début ne posséder que des petits lots de 10 à 12 poules et un coq, s’approvisionner dans les fermes spécialisées à l’élevage pour éviter les croisements incongrus.
C’est avec tous ces types d’effort que la Géline de Touraine a pu se hisser au rang des meilleures races françaises, mais c’était sans compter sur l’arrivée de la 2ème guerre mondiale.
Des années d’oubli..
En 1944, un éminent aviculteur, Louis SERRE, tire la sonnette d’alarme sur la récession des races françaises face aux races étrangères. Afin de ne pas renouveler les erreurs du passé qui ont vu la disparition de certaines races, il incite les éleveurs à délaisser les races anglo-saxonnes au profit de nos belles Bresse, Gâtinaises, Faverolles, Marans, Gélines de Touraine et autres races. Les productions sont désorganisées et se cantonnent souvent à l’exploitation fermière et traditionnelle, un peu comme au XIXème siècle. Pourtant les ressources autour de l’aviculture sont importantes dans le département: fabrique de couveuses à Mettray, production de pintadeaux à Amboise, canetons français à ST Branchs, station avicole de l’INRA à Nouzilly …
Les 5 ans de la 2ème guerre mondiale ont laissé des séquelles dans les élevages de Géline de Touraine. Les couvoirs d’Esvres et de Fondettes sont en baisse d’activité, ce qui entraîne une perte conséquente de sujets reproducteurs. Les agriculteurs eux-mêmes se désintéressent de la race, préférant les croisements. Dans les années 1960-1970, des gélines hybrides apparaissent. Puis suivent des mélanges de races noires locales, de poulets noirs < label rouge > qui ne en fait que des croisements de Gélines.
La Renaissance
En cette fin de décennie 70, la race Géline de Touraine est déclarée disparue, comme la Barbezieux, la Caumont, la Coucou de Rennes, la Le Mans, ou encore la Noire du Berry. Au-delà de cet abandon de la race, quelques amateurs qui se souviennent encore à quoi ressemble une Géline de Touraine vont oeuvrer pour la faire ressurgir.. En avril 1987 ,ils reconstituent un cheptel dans le Lochois.. Toujours la même année, la Géline de Touraine obtient de nombreux prix d’honneur lors d’expositions diverses. Désormais, les sujets sélectionnés par plusieurs éleveurs peuvent être échangés et leurs croisements vont aboutir à retrouver exactement le standard de 1913.